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.Aujourd'hui, à midi, j'ai eu un geste malheureux.Papa dit souventque le fait de tuer un homme n'est pas le pire des crimes, que le plusodieux, un de ceux qu ont commis les fascistes, est de détruire un livre.Aujourd'hui, au bout de la quatrième lecture, transi de peur, j'ai jeté aufeu le Chat noir, de mon maître Poe, sentant bien que je deviendrais fousi je ne le brûlais pas sur-le-champ.Peut-être mon imagination est-elledéjà déréglée ?Sous le signe du RatMon anniversaireAvant-hier, nous sommes entrés dans l'année du Rat.Je necomprends pas pourquoi depuis un an je n'ai pas touché au Livre de mavie.Après avoir lu Les Aventures d'Arthur Gordon Pym, de mon maîtrePoe, je n'ai plus eu envie d'écrire.Les gribouillages pleurnichards d'unenfant infirme n'ont rien en commun avec la grandeur du maître.Je nedeviendrai jamais un déséquilibré, un vrai écrivain.Je m'efforce quandmême de noter ici en quelques phrases les derniers événements d'uneannée morne, qui est passée comme un éclair.Selon papa, oncle Edouard est gravement malade et tante Milenasera obligée de le mettre dans une maison de santé qui coûte les yeuxde la tête.Les yeux de la tête de son frère, puisque tante Milena -toujours au dire de papa - est chargée d'argent comme un crapaud deplumes.Tout bien considéré, la maladie de mon oncle pourrait êtrequalifiée de retour en enfance.De plus en plus maigre, Tchaslav fond comme neige au soleildepuis que l'emprisonnement de son père a été reconduit une nouvellefois.En revanche, Radoch continue à grossir.Atteint d une gravemélancolie qu'il appelle le « mal de l'Occident », il se déclare «malheureux comme les pierres du chemin ».Belle expression ! Lespierres que les hommes foulent aux pieds doivent être trèsmalheureuses.Zorko, lui, passe des heures à la piscine dans une eau malchauffée à faire dix kilomètres de crawl par jour.À l'exemple du grandfrère de Radoch, il se prépare à traverser à la nage un lac, à la frontièregrecque, pour ensuite fuir vers le Canada.Je n'ai rien à lui envier,puisque je nage moi aussi, en imagination, plongé dans Les plus beauxpoèmes de la langue française, un livre que papa m'a offert pour monanniversaire, à son retour de Paris.« La poésie d'un peuple, a-t-il dit, c'est son âme.»En écoutant quotidiennement glorifier l'âme slave, je me suis dit :goûtons un peu à une autre âme.Outre que j apprends tous les jours dixmots de français par cSur, j'ai décidé de me former également à lapoésie française.Tous les mois, j'apprendrai un poème de ma petite anthologie.Une fois par mois, je noterai le plus beau vers d un poème.Au lieu dem'enliser dans mes gribouillages pleurnichards, je composerai unmagnifique bouquet de vers qui, tel un tourbillon de feuilles mortes,traversera les saisons et m'aidera à fuir l'Ogre de mon enfance, commeLe Petit Poucet dans ses bottes de sept lieues.Sous le signe du BSufC est mon signe ! Douze ans après ma naissance, nous nousretrouvons dans l'année du BSuf.Laborieux, le BSuf est le roi desesclaves.Son année, que m'apporte-t-elle ?Au bout de vingt-quatre mois, ma cueillette des plus beaux versfrançais est achevée.Mon bouquet en contient vingt-quatre, provenantd un même nombre de poèmes et d un même nombre de poètes.Je lesrecopie dans Le Livre de ma vie :BOUQUET DES PLUS BEAUX VERSDE LA POÉSIE FRANÇAISECueillis par Miodrag, Marie, Loup Janvier (10 - 12 ans)PRENDS GARDE, ENFANTMon beau navire ô ma mémoire,J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.À mes pieds c'est la nuit, le silence.Le vent se lève !.Il faut tenter de vivre !Adieu, passé, songe rapide.À l'heure où la rosée au soleil s'évaporeLes nSuds ont éclaté.Les roses envolées.Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges /Jeter l'ancre un seul jour ?J'attends l'écho de ma grandeur interne.Je vous connais, ô monstre !Je n'ai rien à offrir et rien à demander.Lorsque l'enfant paraîtUn air très vieux, languissant et funèbre,Le cSur trempé sept fois dans le néant divin,Le poète impuissant qui maudit son génie,Il pleure sans raison dans ce cSur qui s'écSure,L'âme qui souffre sans colère.Et quand il croit serrer son bonheur il le broie. Il fait noir, enfant, voleur d'étincelles !Oisive jeunesse à tout asservie,Prends garde à la douceur des choses.Mais viendra le jour des adieux,Quand tu aimes il faut partir.Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres.Le printemps du BSufHier, miraculeusement, la grisaille de notre quotidien a été balayéepar l'arrivée soudaine de notre institutrice, la camarade Kovatch.Aprèsplusieurs semaines d'absence, elle est apparue sans ses bottesmilitaires, enceinte jusqu'aux yeux.Elle est venue nous dire bonjour etau revoir, et nous présenter sa remplaçante, qui ressemble à uncriquet, vêtue comme il sied à une sauterelle d'un costume jaune et vert.« Je ne pige que dalle, nous a dit Zorko à la sortie de l'école.Ellen'est pas mariée.- Ne te fais pas plus idiot que tu n es, l'a blâmé Tchaslav.- Non seulement elle n'est pas mariée, a enrichit Zorko, mais ilparaît qu elle n'a jamais connu l'amour d'un homme.- Si c'était vrai, ce serait l'Immaculée Conception, a conclutRadoch.- Imma.culée concept.? » ai-je bégayé.Une fois de plus, Radoch a sorti une explication de son fameuxmur ouest.« C est le privilège qu a eu la Vierge Marie d être préservée dupéché, a-t-il dit.Comme la parthénogenèse chez les animaux et lescommunistes, la reproduction à partir d'un Suf non fécondé, privilègedes anciennes combattantes.- Formidable ! » ai-je dit, feignant d'avoir tout compris.- S agissant d une Monténégrine, tout miracle est possible, apoursuivi Radoch avec un sourire qui nous promettait une nouvellecuriosité en provenance de son mur ouest.Savez-vous, s est-il exclamé,savez-vous que le Monténégro est aujourd hui encore en guerre contrele Japon ? »Nous avons tendu l oreille.« En 1905, en pleine guerre russo-japonaise, le princemonténégrin Nicolas demande à ses frères russes de lui fournir desarmes pour l aider à renforcer son absolutisme
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