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.« Coco, dit-il.Les modèles en atelier ne sont jamais aussi canon.»Tout ce que je peux voir, c’est qu’elle n’est pas trop bonne danseuse et, assurément, ce manque de coordination signifie une sclérose latérale amyotrophique, la maladie de Charcot.Voir aussi : Maladie de Lou Gehrig.Voir aussi : Paralysie totale.Voir aussi : Difficultés respiratoires.Voir aussi : Crampes, fatigue, sanglots.Voir aussi : Mort.Du tranchant de la main, Denny estompe les lignes de bouchon pour leur ajouter de l’ombre et de la profondeur.Il s’agit de la femme sur scène, les mains sur les yeux, la bouche légèrement entrouverte, et Denny la croque vite fait, ses yeux revenant constamment sur elle pour plus de détails, son nombril, la courbe de ses crêtes de hanches.Le seul truc qui me mette en rogne, c’est que, vu la manière dont Denny les dessine, les femmes ne sont pas ce à quoi elles ressemblent pour de vrai.Dans la version de Denny, les cuisses moches et mollasses d’une bonne femme vont apparaître solides comme le roc.Les yeux bouffés par les valises de quelque autre spécimen deviennent clairs, avec juste un brin de cerne par-dessous.« Y te reste du liquide, Coco ? demande Denny.Je ne veux pas qu’elle parte tout de suite.»Mais je suis fauché, et la fille s’en va jusqu’au prochain mec en bordure de scène.« Voyons un peu, Picasso », je lui dis.Et Denny se gratte sous un œil en y laissant un grand barbouillis de suie.Puis il incline le bloc-notes juste assez pour que je voie une femme nue, les mains sur les yeux, mince, une ligne de corps superbe, en train de tendre chaque muscle, avec rien d’elle qui soit dégradé par la gravité, les ultraviolets ou une mauvaise alimentation.Elle est lisse mais elle est douce.Tendue tonique mais décontractée.C’est une impossibilité physique totale.« Coco, je dis, tu l’as faite trop jeune.»La patiente suivante est à nouveau Cherry Daiquiri, qui revient après avoir fait son tour, sans sourire cette fois, aspirant une joue jusqu’au plus creux, et qui me demande : « Ce grain de beauté que j’ai ? Vous êtes sûr que c’est un cancer ? Je veux dire, je ne sais pas, mais est-ce qu’il faut que j’aie vraiment peur… ? »Sans la regarder, je lève un doigt.En langage international, c’est le signe de Attendez s’il vous plaît.Le docteur va vous recevoir dans un instant.« Impossible que ses chevilles soient aussi fines, je dis à Denny.Et son cul est bien plus gros que ce que tu as là .»Je me penche pour voir ce que Denny est en train de faire, puis je regarde sur la scène la dernière patiente.« Faut que tu lui fasses les genoux plus bosselés », je dis.La danseuse en bout de scène me lance un œil abominable.Denny se contente de continuer ses esquisses.Il lui fait les yeux énormes.Il lui arrange ses bouts de cheveux fourchus.Il fait tout de travers.« Coco, je lui dis.Tu sais, t’es pas un très bon artiste.»Je dis : « Sérieux, Coco, je ne vois pas du tout ça.»Denny dit : « Avant que tu ailles débiner le monde entier, va falloir que tu appelles ton « sponsor », celui qui te parraine aux sexooliques anonymes, et ça urge.» Il dit : « Et au cas où t’en aurais encore quelque chose à branler, ta maman a déclaré qu’il allait falloir que tu lises ce qui se trouve dans sa bibliographie.»M’adressant à Cherry accroupie devant nous, je dis : « Si tu parles vraiment sérieusement quand tu dis que tu veux te sauver la vie, il va falloir que je te parle dans un lieu privé.— Non, pas bibliographie, dit Denny, c’est biographie.Son journal intime, quoi.Au cas où tu te demanderais d’où tu viens vraiment, tout est dans son journal.À ta mère.»Et Cherry laisse pendre une jambe dans le vide par-dessus le rebord et commence à descendre de la scène.Je demande à Denny : « Qu’est-ce qu’il y a dans le journal de ma maman ? »Et tout en exécutant ses petits dessins, voyant des formes impossibles, Denny dit : « Ouais, journal intime.Biographie.Et pas bibliographie, Coco.Tous les trucs concernant ton vrai papa se trouvent dans le journal intime de ta maman.»17À St Anthony, la fille de la réception bâille derrière sa main, et quand je demande si elle veut peut-être aller se chercher une tasse de café, elle me regarde en coin et dit : « Pas avec vous.»Et vrai de vrai, elle ne me branche pas.Je surveillerai son bureau assez longtemps pour qu’elle puisse aller se chercher un café.C’est tout.Ce n’est pas de la drague.Vrai de vrai.Je dis : « Vos yeux ont l’air fatigués.»Tout ce qu’elle fait toute la journée, c’est de signer les bons de sortie et d’entrée de quelques personnes.Elle regarde le moniteur vidéo qui montre les intérieurs de St Anthony, chaque couloir, le foyer, la salle a manger, le jardin, avec l’écran qui passe de l’un à l’autre plan toutes les dix secondes.L’écran est grumeleux, noir et blanc.Sur le moniteur, la salle à manger apparaît pendant dix secondes, vide, avec toutes ses chaises retournées sur les tables, les pieds chromés en l’air.Un long couloir apparaît pendant les dix secondes suivantes avec quelqu’un affalé en tas sur un banc contre un mur.Ensuite, pendant les dix secondes suivantes de noir et blanc pelucheux, il y a Paige Marshall qui pousse ma maman dans une chaise roulante le long d’un autre long couloir.La fille de la réception dit : « Ça ne me prendra qu’une minute.»Tout à côté du moniteur se trouve un vieux haut-parleur.Couvert d’un mohair de canapé tout pelucheux, il y a ce haut-parleur genre vieille radio de jadis avec un cadran circulaire entouré de chiffres.Chaque chiffre est une chambre de St Anthony.Sur le bureau est posé un microphone qu’on utilise pour faire les annonces.En tournant le cadran face à un chiffre, on peut espionner tout ce qui se dit dans n’importe quelle chambre du bâtiment.Et rien qu’un instant, la voix de ma maman sort du haut-parleur, disant : « Je me suis définie, ma vie tout entière, par ce à quoi je m’opposais…»La fille change le commutateur circulaire et le place sur neuf, et on entend alors une radio espagnole et le tintement de casseroles métalliques dans l’arrière-cuisine, là où se trouve le café.Je dis à la fille : « Prenez votre temps.»Et : « Je ne suis pas le monstre que vous avez peut-être entendu décrire par certaines personnes aigries et furieuses qu’il y a ici.»Et même alors que je me montre si gentil, elle met son sac à main dans le bureau qu’elle ferme à clé.Elle dit : « Cela ne me prendra pas plus de deux minutes.Okay ? »Okay.Et la voilà qui passe les portes de sécurité, et je suis assis derrière son bureau.À surveiller le moniteur : le foyer, le jardin, un couloir quelconque, chacun pendant dix secondes.À essayer de retrouver Paige Marshall.D’une main, je change les positions du cadran, de chiffre en chiffre, en prêtant l’oreille dans chaque chambre pour entendre le Dr Marshall.Ma maman.En noir et blanc.Presque en direct
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