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. 164 « Voilà de magnifiques arbres, s écria Kennedy ; je neconnais rien de beau comme l aspect de ces vénérables forêts.Vois donc, Samuel. La hauteur de ces banians est vraiment merveilleuse,mon cher Dick ; et cependant elle n aurait rien d étonnant dansles forêts du Nouveau-Monde. Comment ! il existe des arbres plus élevés ? Sans doute, parmi ceux que nous appelons les « mam-mouth trees.» Ainsi, en Californie, on a trouvé un cèdre élevéde quatre cent cinquante pieds, hauteur qui dépasse la tour duParlement, et même la grande pyramide d Égypte.La base avaitcent vingt pieds de tour, et les couches concentriques de sonbois lui donnaient plus de quatre mille ans d existence. Eh ! monsieur, cela n a rien d étonnant alors ! Quand onvit quatre mille ans, quoi de plus naturel que d avoir une belletaille ? »Mais, pendant l histoire du docteur et la réponse de Joe, laforêt avait déjà fait place à une grande réunion de huttes circu-lairement disposées autour d une place.Au milieu croissait unarbre unique, et Joe de s écrier à sa vue :« Eh bien ! s il y a quatre mille ans que celui-là produit depareilles fleurs, je ne lui en fais pas mon compliment.»Et il montrait un sycomore gigantesque dont le tronc dis-paraissait en entier sous un amas d ossements humains.Lesfleurs dont parlait Joe étaient des têtes fraîchement coupées,suspendues à des poignards fixés dans l écorce.« L arbre de guerre des cannibales ! dit le docteur.Les In-diens enlèvent la peau du crâne, les Africains la tête entière. 165 Affaire de mode », dit Joe.Mais déjà le village aux têtes sanglantes disparaissait àl horizon ; un autre plus loin offrait un spectacle non moins re-poussant ; des cadavres à demi dévorés, des squelettes tombanten poussière, des membres humains épars çà et là, étaient lais-sés en pâture aux hyènes et aux chacals.« Ce sont sans doute les corps des criminels ; ainsi que celase pratique dans l Abyssinie, on les expose aux bêtes féroces, quiachèvent de les dévorer à leur aise, après les avoir étranglés d uncoup de dent. Ce n est pas beaucoup plus cruel que la potence, ditl Écossais.C est plus sale, voilà tout. Dans les régions du sud de l Afrique, reprit le docteur, onse contente de renfermer le criminel dans sa propre hutte, avecses bestiaux, et peut-être sa famille ; on y met le feu, et toutbrûle en même temps.J appelle cela de la cruauté, mais j avoueavec Kennedy que, si la potence est moins cruelle, elle est aussibarbare.»Joe, avec l excellente vue dont il se servait si bien, signalaquelques bandes d oiseaux carnassiers qui planaient à l horizon.« Ce sont des aigles, s écria Kennedy, après les avoir recon-nus avec la lunette, de magnifiques oiseaux dont le vol est aussirapide que le nôtre. Le ciel nous préserve de leurs attaques ! dit le docteur ;ils sont plutôt à craindre pour nous que les bêtes féroces ou lestribus sauvages. 166 Bah ! répondit le chasseur, nous les écarterions à coupsde fusil. J aime autant, mon cher Dick, ne pas recourir à tonadresse ; le taffetas de notre ballon ne résisterait pas à un deleurs coups de bec ; heureusement, je crois ces redoutables oi-seaux plus effrayés qu attirés par notre machine. Eh mais ! une idée, dit Joe, car aujourd hui les idées mepoussent par douzaines ; si nous parvenions à prendre un atte-lage d aigles vivants, nous les attacherions à notre nacelle, et ilsnous traîneraient dans les airs ! Le moyen a été sérieusement proposé, répondit le doc-teur ; mais je le crois peu praticable avec des animaux assez ré-tifs de leur naturel. On les dresserait, reprit Joe ; au lieu de mors, on les gui-derait avec des Sillères qui leur intercepteraient la vue ; bor-gnes, ils iraient à droite ou à gauche ; aveugles, ils s arrêteraient. Permets-moi, mon brave Joe, de préférer un vent favora-ble à tes aigles attelés ; cela coûte moins cher à nourrir, et c estplus sûr. Je vous le permets, monsieur, mais je garde mon idée.»Il était midi ; le Victoria, depuis quelque temps, se tenait àune allure plus modérée ; le pays marchait au-dessous de lui, ilne fuyait plus.Tout d un coup, des cris et des sifflements parvinrent auxoreilles des voyageurs ; ceux-ci se penchèrent et aperçurentdans une plaine ouverte un spectacle fait pour les émouvoir. 167 Deux peuplades aux prises se battaient avec acharnementet faisaient voler des nuées de flèches dans les airs.Les combat-tants, avides de s entre-tuer, ne s apercevaient pas de l arrivéedu Victoria ; ils étaient environ trois cents, se choquant dansune inextricable mêlée ; la plupart d entre eux, rouges du sangdes blessés dans lequel ils se vautraient, formaient un ensemblehideux à voir.À l apparition de l aérostat, il y eut un temps d arrêt ; leshurlements redoublèrent ; quelques flèches furent lancées versla nacelle, et l une d elles assez près pour que Joe l arrêtât de lamain.« Montons hors de leur portée ! s écria le docteur Fergus-son ! Pas d imprudence ! cela ne nous est pas permis.»Le massacre continuait de part et d autre, à coups de ha-ches et de sagaies ; dès qu un ennemi gisait sur le sol, son adver-saire se hâtait de lui couper la tête ; les femmes, mêlées à cettecohue, ramassaient les têtes sanglantes et les empilaient à cha-que extrémité du champ de bataille ; souvent elles se battaientpour conquérir ce hideux trophée.« L affreuse scène ! s écria Kennedy avec un profond dé-goût. Ce sont de vilains bonshommes ! dit Joe.Après cela, s ilsavaient un uniforme, ils seraient comme tous les guerriers dumonde. J ai une furieuse envie d intervenir dans le combat, repritle chasseur en brandissant sa carabine
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